Quand j'étais môme, nous vivions au-dessus d'une imprimerie. Cela me fascinait : j'allais voir le typographe, un homme aux gestes précis, au regard perçant. Et dont la formation était exigeante. Ce qui me fascinait le plus, c'était la vitesse avec laquelle il alignait les caractères. Il avait le regard fixé sur le brouillon, choisissait les plombs, les alignait et formait les mots sans jamais se tromper d'un seul caractère. Oui, c'était fascinant. En outre, l'odeur de l'encre d'imprimerie était typique : je ne connais pas assez de mots pour développer ce que ce parfum particulier éveillait en moi.
Avoir baigné dans cette atmosphère pendant l'enfance a sans doute participé à éveiller en moi l'amour des mots et des belles compositions. Aujourd'hui, c'est un métier qui a totalement disparu. Parce que le virtuel a remplacé le réel. Ce qui me choque le plus, c'est que les possibilités offertes par la composition artificielle ne semblent plus correspondre aux exigences d'autrefois. L'exemple le plus frappant ? La marge à droite en dent de scie alors que les logiciels permettent d'éviter cet aspect "artisanal". Naviguer vers les journaux en est un exemple : plus jamais de marge à droite alors qu'il est simple comme bonjour de faire en sorte que tout soit bien aligné (et que, de surcroît, tout bon logiciel de texte dispose même du tiret automatique en cas de césure des mots).
On veut tellement aller vite, toujours plus vite... Au détriment du regard que l'on pose sur ces compositions "échevelées"... Restent les livres qui échappent (pour l'instant) semble-t-il, à ce désordre graphique.
Et dire qu'autrefois aucun typographe n'aurait supporté de coquilles... Ils aimaient vraiment la belle ouvrage...